Amour en guerre

Elle et Lui sont en crise comme beaucoup de couples contemporains. Pourtant, la guerre qu'ils se livrent a commencé bien avant eux. Elle s'enracine en grande partie dans l'organisation même du pouvoir au sein de ce qu'il est convenu d'appeler le patriarcat, c'est à dire une société où la loi du Père et les valeurs masculines prédomines. Guy Corneau, N'y a-t-il pas d'amour heureux ?

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Elle

Il vient tout juste de rentrer du boulot et il s'est assislà, sur le canapé du salon, fatigué mais content. il baîlle et s'étire après avoir enlevé ses chaussures. Il a beaucoup de choses à raconter ce soir. Il continue même de parler pendant que vous allez à la cuisine chercher des verres. Il porte la chemise qui vous plaît tant, d'ailleurs c'est vous qui l'avez choisie. Elle lui donne un petit air coquin, un air qui vient alléger tout le sérieux qu'il attache à sa vie. Vous aimez ces moments où il se laisse aller avec plus d'abandon, fatigue aidant, au jeu de la conversation. Ce qu'il raconte n'est pas particulièrement intéressant mais au moins il vous parle. Il est en relation ...
Il parle et vous approchez du divan. Vous avez envie de l'embrasser comme ça, pour rien, pour célébrer le moment. Pour une fois, vous allez prendre l'initiative des caresses au lieu que ce soit toujours lui, ce dont il se plaint amèrement d'ailleurs. Donc vous approchez du divan, lascive et sensuelle.
Il vous voit venir du coin de l'oeil et vous sourit, prend les verres et les pose sur la table. Il répond à votre premier baiser avec un plaisir évident, mais plus vous insistez et plus ça se gâte. Vous devinez un malaise certain. Vous décelez une certaine raideur dans tout son corps, une sorte de refus d'engagement. Il a toujours le sourire mais son visage est figé. Il a cessé de parler et prend son verre de vin.
Visiblement il est mal à l'aise et vous n'y comprenez rien. Ou plutôt si, mais vous n'aimez pas ce que vous commencez à comprendre. Lorsque vous prenez l'initiative, en fait, ça ne va jamais très loin. Ce n'est jamais le bon moment. Si ça se trouve, il va prétendre qu'il a mal à la tête ! On dirait un petit garçon qui a peur de sa mère. Mais vous n'êtes pas sa mère, justement, vous n'avez rien à voir avec sa mère. Vous n'avez plus qu'une envie : lui envoyer son petit chéri dans un paquet bien ficelé avec une étiquette où l'on pourrait lire : Marchandise endommagée.

Lui

Elle est rentrée du boulot avant vous et on odeur est djà partout dans l'appartement Son odeur et la lumière du soleil qui entre à pleines fenêtres à cette heure du jour. Elle vous demande si vous voule boire du vin et vous répondez pourquoi pas ? Vous aimez quand elle vous sert quelque chose, quand elle est de bonne humeur et pleine d'attentions. Dans ces moments-là, vous vous sentez choyé, privilégié, et vous trouvez que la vie est belle.
Pendant qu'elle va à la cuisine, vous lui dites un tas de trucs sans importance pour la faire rire, parce que vous savez qu'elle aime vous entendre parler. Vous parlez et soudain vous avez envie de faire l'amour avec elle. Ah, si elle pouvait faire les premiers pas, prendre les devants comme elle ne le fait presque jamais. Vous la mangeriez toute crue ! Mais voilà justement qu'elle s'avance en s'offrant à vous, fantasme devenu réalité. Pourtant quelque chose ne va pas ... C'est l'intensité qu'elle y met ... Tant d'ardeur vous dérange. C'est comme si sa vie en dépendait. Comme si son besoin d'affection était si grand que jamais un homme ne pourra combler.
Elle a déposé son verre et elle se serre contre vous en vous embrassant. Maintenant elle veut vous entendre dire je t'aime. Ah non ! ça recommence. Elle veut que vous lui disiez je t'aime tout le temps. Vous devriez l'enregistrer sur cassette, comme ça elle pourrait l'écouter à longueur de journée. La situation commence à vous irriter. D'où lui vient ce besoin d'affection qui est comme un gouffre, si grand que vous n'osez pas en approcher de peur d'y sombrer ? "Pas eu de papa !" qu'elle vous répond immanquablement. Franchement ! "Pas eu de papa !" Comme si vous en aviez eu un, vous ...
Après le quatrième baiser, vous reprenez votre verre. Vous espérez que votre malaise passe inaperçu mais avec son intuition vous ne pouvez vraiment pas compter là-dessus. Il ne vous reste plus qu'à renverser du vin sur le tapis. Vous décidez plutôt d'aller aux toilettes afin d'avoir un peu de temps pour vous ressaisir.

Elle

Tiens, le voilà encore qui se sauve ! Mais cette fois vous n'allez pas lui courir après. Vous en avez assez. Vous en avez assez de cette indifférence d'homme. Vous en avez assez de faire la gentille fille. Vous en avez assez de lui préparer de bons petits plats et de jouer ses fantasmes au lit en échange d'une affection qui ne vient pas. Votre colère commence à monter et vous préférez vous taire parce que ce que vous avez à dire vous semble trop gros, trop méchant. Il y a cinq minutes vous vouliez l'embrasser, mais maintenant vous voulez régler vos comptes. Si seulement il pouvait enfin sortir des toilettes ...

Lui

Dans la salle de bains, vous vous reprochez votre attitude. Après tout, elle a fait cela pour vous faire plaisir. Si vous suiviez son initiative pour une fois .... Si vous lui donniez l'affection qu'elle désire ... Cela mettrait fin à cette petite guerre que vous vous livrez depuis quelques jours. Alors vous retournez au salon rempli de bonnes intentions.
Vous la retrouvez distante, froide, cassante, toute ramassé à l'autre extrémité du divan. Vos bonnes intentions s'envolent aussitôt. "Si c'est la guerre qu'elle veut, elle va l'avoir", pensez-vous. Vous ne vous laisserez pas faire ! D'ailleurs, depuis qu'elle est entrée en thérapie et qu'elle a commencé à s'affirmer, il vous semble que les problèmes n'ont fait qu'augmenter. Elle ne laisse plus rien passer.
Au moment où elle se lance dans l'une de ses tirades habituelles sur le couple et l'engagement amoureux, votre sang ne fait qu'un tour. Vous avalez une gorgée de vin pour vous calmer mais il a goût de vinaigre. Du vinaigre, bien sûr, du vinaigre ! En un éclair, il vous semble avoir saisi le coeur du problème. C'est une pisse-vinaigre ! Tout ce qu'elle touche a goût de vinaigre. Encore une fois la soirée est gâchée. Vous n'avez plus qu'une idée en tête : partir. Vous allez l'interrompre pour le dire mais elle vous ôte les mots de la bouche : "Je gage que tu veux encore partir. Tu me trouves trop dérangée, peut être, mais ça serait pas plutôt que je suis dérangeante ? Nuance, mon cher ! Et puis penses-tu vraiment que les autres sont différentes de moi ? Penses-tu que tu vas finir par la trouver, la femme idéale ? T'es-tu déjà regardé ?"

Le poids d'un rêve

Et voilà, c'est reparti ! La valse des blâmes et des accusations vient de recommencer. Le ton va monter. ça va mener à quelques coups d'éclat du genre claquer des portes, partir et revenir. Il va y avoir quelques cris, quelques larmes, de l'amertume des deux côtés, des regrets, un petit baiser et, si, c'est un bon soir, ça se terminera en faisant l'amour ! Et dans quelques jours, ça recommencera.

Je sais, vous pensiez que ça n'arrivait que chez vous ... Désolé de vous décevoir, ça arrive partout ! Bien entendu, vous pouvez y ajouter votre touche personnelle. Parfois il s'agit de deux hommes sur le canapé, parfois de deux femmes. Souvent c'est elle qui ne veut pas qu'on l'approche. Quelquefois ça va jusqu'aux coups ... Mais en général le scénario ne varie pas beaucoup, à tel point qu'on a parfois l'impression que les relations de couple chez les humains suivent un programme établi à l'avance.

Elle se dit prête et recherche un homme capable de s'engager. Elle veut recevoir de Lui ce que papa n'a pas pu lui donner. Mais le poids d'une telle attente lui fait peur. D'autant plus qu'il n'a aucune idée de ce qu'est l'intimité, avec autrui ou avec soi-même. Il connaît le pouvoir, la gloire, la mécanique, les idées. Pour ce qui est des sentiments, c'est autre chose. Il lui manque l'élément essentiel de la recette amoureuse, élément qu'Elle prétend posséder. Du coup, il se sent comme un moins que rien sur le plan affectif.

Lui se sent coupable de ne pas répondre à un rêve qu'elle veut réaliser de puis longtemps et pour lequel il ne peut être qu'inadéquat. Elle est malheureuse de ne pas arriver à le rendre heureux, elle qui fait pourtant tant d'efforts pour l'aider à devenir le prince charmant qu'elle espère. Lui se sent contrôlé, manipulé, pressé d'être ce qu'il n'est pas. Il ressentait le même désarroi devant sa mère. Elle aussi voulait faire de lui son petit prince. Le même rêve, la même emprise qu'Elle exerce sur lui sans même s'en rendre compte.

Elle ne se rend pas compte d poids de son rêve. Lui ne se rend pa compte du poids de ses exgences. Il ne se rend pas compte du poids de ses négligences. Il ne se rend pas compte que c'est sa façon de lui faire payer ce rêve qu'elle fait pour lui. C'est avec ça qu'il la manipule, qu'il lui fait faire tout ce chemin vers lui. C'est comme ça que ça devient tranquillement insupportable. Elle qui attend et qui le suit. Lui qui se tait et qui la fuit.

Chacun de leurs gestes trahit ce qu'ils espèrent l'un de l'autre, mais ils se déçoivent. Ils continuent tout de même par jeu, par malice, pour voir jusqu'où l'autre va aller dans le deuil de son rêve. Ils continuent par impuissance. Lorsqu'ils se seront assez menés par le bout du nez, lorsqu'ils se seront assez piétinés, ils se laisseront, dégoûtés. Elle dira qu'elle s'est encore fait rouler. Lui qu'il s'est fait pièger, encore une fois. Et tous les deux souffriront que ça n'ait pas marché. Cette valse des soupirs, réglée au quart de tour depuis des siècles, n'est-il pas vrai que seule une crise fondamentale pouvait nous permettre de penser la changer ?

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Guy Corneau : N'y a t il pas d'amour heureux

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